Milena ♦ sweet face and black magic

Zéro. Les cris du bébé retentissent dans la ruelle sombre et malfamée. Sa mère tente de la faire taire pour ne pas qu'ils ne se fassent découvrir mais elle hurle à pleins poumons pour montrer au monde qu'elle est là, bien vivante, et qu'elle sera prête à se battre pour sauver sa foutue vive. Foutue, elle l'est déjà. Elle n'est pas née dans une famille glorieuse, elle passera sa vie dans l'ombre, cachée de tous, à éviter les gardes du palais, la milice, les ennuis. Finalement c'est son père qui arrive à la calmer en le prenant dans ses bras, c'est instinctif. Elle s'endort doucement, paisiblement alors qu'il lui caresse doucement les cheveux. Qui aurait pu croire qu'un des plus grands sorciers de Corona puisse être si doux, si gentil en voyant sa chaire, la prunelle de ses yeux. Un tout petit être dans ses mains de géant. Et sa mère, épuisée, qui s'endort elle aussi. Il ne reste plus que lui et il berce la petite fille. Puis il lui trouve enfin son prénom. Milena.

Cinq Elle a cinq ans, petite fille pleine de vie, pleine de joie qui gambade dans les ruelles sombres de Corona. Elle n'a jamais été au grand jour, dans les grandes rues remplies du vacarmes quotidien. Elle, elle préfère l'ombre, comme ses parents, comme tout le monde. Elle se bat pour sa survie, parce qu'elle sait que dans ce monde, rien ne lui sera offert, il faudra qu'elle se batte. Pour ça, il y a Liesl. Son cousin, une figure fraternelle, la seule puisqu'elle est fille unique. Il est là, il l'entraîne à croiser le fer avec des bouts de bois. Ça l'amuse, la gamine, elle adore ça. Elle adore passer du temps avec lui, il lui change les idées. Et maintenant qu'il a ses pouvoirs, il la fait rêver un peu plus. Ses deux parents sont sorciers, à elle, et elle se demande si elle aura des pouvoirs elle aussi, si elle sera comme eux. Parce qu'elle veut l'être. Puis un jour, elle se fracasse, elle retombe lourdement à terre. Liesl n'est pas là. Il n'est pas pour leur rendez-vous habituel. Elle voulait lui montrer son nouveau bâton, elle voulait le battre aujourd'hui. Mais non. Il n'est pas là. Alors elle revient le lendemain. Même constant. Le surlendemain, il n'est toujours pas là. Il ne reviendra pas, pas tout de suite, elle se retrouve seule. Seule avec son bâton. Elle devra se faire ses propres armes maintenant.

Dix C'est le jour de son anniversaire, de ses dix ans. Lorsqu'elle se réveille, elle sent une douce chaleur dans le creux de ses mains, dans ses veines, partout dans son corps. Un chaleur semblable à celle du feu. Elle ne se pose pas plus de questions que ça, après tout elle a même oublié quel jour on était. Elle se lève, il n'y a personne chez elle, elle se sent seule. Seule depuis qu'elle n'a pas plus son cousin, seule depuis que ses parents commencent à commettre de plus en plus de délits. Mais elle vit très bien toute seule la jeune Milena, elle aime être seule, elle aime mener sa propre vie. Devenir capitaine elle en rêve. Mais pour l'instant, elle n'est que la capitaine de sa propre vie. Pas un bateau, encore moins une flotte, même pas matériel. Elle se gère du haut de ses dix ans, elle y arrive. Elle n'a pas de nouvelles de Liesl, elle le regrette, elle aurait aimé lui dire au revoir, elle aurait aimé venir avec lui. Elle aurait aimé un tas de choses en réalité. Elle se dit qu'il a quinze ans maintenant, qu'il a refait sa vie sur la mer. Comme elle fait la sienne sur la terre ferme, dans les ruelles sombres et malfamées de Corona. Elle sort de chez elle, elle va vagabonder, elle va tenter de retrouver ses parents, de trouver quelque chose à manger. Elle est mal vêtue, camouflée sous un tas de vêtements trop larges. Elle déambule comme une ombre, elle se cache de la Milice, des gardes. Mais au détour d'une trop petite ruelle, elle tombe sur un groupe d'homme qui ne lui inspire pas confiance. Trop vieux, trop alcoolisés, trop peu pour elle. Elle rebrousse chemin, mais c'est trop tard, beaucoup trop tard. Ils commencent à lui tirer ses vêtements, à lui dire qu'elle est jolie, qu'ils la veulent. Elle n'a que dix ans, elle reste tétanisée. Alors elle ferme les yeux, elle attend que ça se termine. Mais alors que la peur monte en elle, elle sent que la chaleur au creux de ses paumes grandit de plus en plus. Et au summum de la peur, des flammes jaillissent de ses mains pour atteindre ses agresseurs. Ils se reculent, ils se roulent par terre pour tenter d'éteindre le feu. Elle reste stupéfaite mais elle ne cherche rien de plus, elle fuit en courant, elle escalades une échelle pour rejoindre les toits alors que la Milice arrive, alertée par les cris des hommes. Elle regarde la scène d'en haut. Le voilà son pouvoir. Elle se rappelle soudainement de ce jour. Elle se presse pour rentrer chez elle, elle trouve un vieux gâteau sec à moitié rassit.  Elle y place une bougie, qu'elle tente d'allumer avec ses doigts. C'est un succès. Elle est seule, désespérément seule. Elle n'en veut pas à ses parents, ils ont des affaires à  gérer, ils l'ont éduqué comme il se doit. Elle souffle son unique bougie. Elle fait le vœu de revoir Liesl.

"Joyeux anniversaire Milena."

Quinze C'est le jour de ses quinze ans qu'on lui a annoncé que ses parents étaient en prison. Ils ont trop joué avec le feu, ils s'y sont brûlés les ailes, ils se sont faits attraper. Étrangement, elle n'a pas pleuré. Pas une seule larme. Elle avait l'habitude d'être seule, d'être sans eux, d'être indépendante. Elle n'a pas été les voir, elle se serait fait attraper elle aussi. Elle n'avait plus personne, juste elle contre le monde entier. Toujours aucune nouvelle de son cousin. Il lui manquait terriblement. Alors comme souvent, elle s'est retrouvé sur le porc, emmitouflée dans une cape qui appartenait à sa mère. Un bateau venait d'arriver à quai, tout le monde s'y précipitait. Et c'est là, à ce moment précis où le soleil fondait sur les voiles du bateau qu'elle l'a vu. Liesl. Elle se fige. Elle croit d'abord à une hallucination mais c'était bien trop réel. Elle ne réfléchit pas plus longtemps, elle se met à courir, à hurler son prénom avant de se précipiter dans ses bras. Elle ressentit la pression de ses bras autour de corps frêle, son parfum qui n'a pas changé, l'odeur de la mer, du sel. Elle resta un long moment dans ses bras, profitant de ses retrouvailles. Ils ont finalement atterri dans un pub malfamé à tout se raconter, tout se dire. Elle lui dit pour ses pouvoirs, pour ses parents, pour tout. Puis elle décide de venir avec lui, de quitter la terre. Elle prend ses affaires dans une besace, elle se présente devant la capitaine, Liesl à ses côtés. Elle accepte, bien évidemment. Elle ne voulait que ça, être aux côtés de la seule famille qui lui restait. Alors elle est montée sur le bateau, elle a dit adieu à Corona, à la terre ferme. Une nouvelle vie commençait pour elle.

Vingt-cinq Penchée à la poupe du bateau, elle regardait la mer qui s'étend à perte de vue. Dix ans se sont passés depuis qu'elle a quitté Corona pour une nouvelle vie. Elle aimait cette nouvelle vie, elle aimait les pillages, elle aimait être libre d'user de sa magie comment bon lui semblait, elle aimait être avec Liesl. Il a toujours été comme un frère pour elle, il le sera toujours, ils se le sont jurés. Ce jour-là allait être spécial, une mutinerie était prévue. Elle ne comprenait pas, mais Liesl la rassurait, il lui disait que ça irait, qu'ils allaient retourner à Corona. Tous les deux. Elle a accepté, elle ne pouvait pas faire autrement. Elle ne se voit pas rester sur les flots sans lui. Alors elle se résigne, elle range elle aussi son épée, elle cède son chapeau à un autre. Elle va redevenir un magicienne, une sorcière, une hors la loi. La mutinerie se passe, elle n'y prend pas part, elle ne dit rien, elle reste dans l'ombre. Elle regarde les autres s'entre-tuer, puis tout s'arrête. Tout redevient sombre, la nuit reprend le dessus, c'est terminé pour l'autre capitaine. Un autre prend sa place, il ne sera son capitaine que pour une nuit. Le lendemain ils arrivèrent à terre, ils descendirent Liesl et elle pour ne plus jamais remonter sur ce navire. Ils se dirigent vers le cabaret de sa tante où ils passeront la nuit à boire du rhum en se rappelant de ces dix ans. Mais déjà, elle le sent, l'idée de reprendre la mer germe dans la tête de son cousin. Elle souffle ses vingt-cinquième bougies en face de lui, heureuse. Elle ne savait pas ce qu'elle allait faire de sa vie à présent. Mais elle était avec son frère de coeur, son sang, rien ne comptait plus.

Trente Dans les coulisses du cabaret, elle se prépare. Elle se maquille de rouge, d'orange et d'or, elle se coiffe d'une manière extravagante. Ce soir, comme tous les soirs depuis cinq ans, elle fait le show. Elle a une heure pour mettre le feu, littéralement, à la salle. Elle use de sa magie pour un spectacle de feu encore jamais vu à Corona. Elle impressionne les hommes, elle se fait jalouser des femmes. Elle s'est crée une robe qui se consume lorsqu'elle tourne sur elle-même, elle forme des dragons de feu, elle est la déesse des flammes. Elle l'use à bon escient enfin en quelques sortes. La journée, et même après son heure de gloire, elle fabrique des potions, des philtres qu'elle revend dans les ruelles sombre de Corona. Elle ne se fait pas attraper, jamais, elle est bien trop rusée. Des philtres d'amour pour les demoiselles esseulées, des philtres de mort pour les veuves noires des philtres de chance pour les joueurs, elle a réussit à se créer toute une clientèle. Puis elle s'est mise à trop jouer avec les morts. Elle s'est découvert un autre pouvoir, la nécromancie. Elle communique avec l'au-delà, avec encore un peu de difficulté. Mais elle le sait, bientôt elle rajoutera nécromancienne à son éventail de métier. Elle consolera les veufs et les veuves, ceux qui veulent aussi jouer avec la Mort. Elle s'entraîne dur, elle aime la sensation de magie qui coule dans ses veines. Son cousin lui a parlé d'un nouvel équipage qui compte monter, de ce nouveau projet pour quand sa mère mourra et qu'il pourra quitter le cabaret. Elle a accepté de le suivre, et elle attend désormais ce jour avec impatience. Liesl la sort de ses pensées en lui disant que c'est à son tour. Elle acquiesce, elle enfile sa robe qui se regénère tel un phénix après chaque représentation. Elle sort de sa loge. Elle s'avance dans les couloirs du cabaret. Elle arrive sur scène. Le rideau s'ouvre, des hommes crient déjà son prénom. Elle s'avance dans la lumière.

"Mesdames, mais surtout Messieurs, bienvenue pour une nuit de folie ! Restez bien à vos places,
ne vous approcher pas trop du soleil. Vous risqueriez de vous brûler les ailes"

Et c'est dans un rire cristallin que sa partie commence, avec une gigantesque flamme qu'elle crée de ses mains.