TROUBLE, TROUBLE ~ Simone

'Cause I knew you were trouble
when you walked in

Cette satanée rouquine. Combien de fois lui avait-on répété qu'il ne fallait pas s'éloigner du palais pour s'aventurer dans les rues de Corona ? Des centaines de fois, Daniel en était persuadé. Pourtant, il fallait qu'elle continue d'enfreindre les règles, comme si son seul plaisir dans la vie était de narguer les dirigeants et les protecteurs de Corona. Pensait-elle que rien ne pouvait lui arriver puisqu'elle était une sorcière ? Encore une raison pour laquelle il ne supportait pas ceux qui étaient porteurs de la magie : ils étaient persuadés qu'ils étaient invincibles et qu'on ne pouvait rien leur interdire. Mais malgré l'ours grincheux qui lui servait de garde du corps, Simone Virtanen, ambassadrice officielle du royaume d'Arendelle, était une cible de choix pour tous les brigands du coin ; elle semblait pourtant ne pas s'en soucier et continuait de n'en faire qu'à sa tête. Lorsqu'il avait constaté que la jeune femme manquait à l'appel au palais, Daniel avait décidé de partir lui-même à sa recherche et de lui passer le savon de sa vie afin qu'elle ne cesse de rendre ses journées encore plus difficiles.
Il décida de se rendre en ville sans son cheval : Simone n'était pas passée par les écuries et elle n'était pas partie depuis suffisamment longtemps pour avoir traversé le pont, il en aurait mis sa main à couper. De plus, il ne tenait pas à attirer l'attention sur lui parmi la foule : en raison des derniers évènements, les protecteurs suscitaient parfois la méfiance parmi les habitants et il ne voulait pas avoir affaire à des paysans mécontents. Il avait déjà atteint le quartier bourgeois lorsqu'il l'aperçut soudain parmi la foule. Elle ne semblait pas en danger mais ce qui s'était passé lors du festival des Lumières prouvaient que la situation pouvait bien vite déraper à Corona. Il soupira en songeant que ce soir-là aussi, Simone avait fait des siennes. Se rendre en ville alors qu'une fête somptueuse se déroulait au palais en même temps... C'était à rien n'y comprendre. A croire que l'ambassadrice aimait se trouver au cœur des ennuis.

En l'observant flâner dans les rues, Daniel sentit son cœur se serrer. Ses cheveux couleur de feu, son caractère vif et obstiné, cette magie qu'elle ne cherchait pas à cacher... Tout chez cette femme lui rappelait Adela et cela expliquait sans doute pourquoi Simone l'exaspérait autant. Il ne voulait plus penser à sa défunte épouse mais à chaque fois qu'il posait son regard sur Simone, il se rappelait des raisons qui l'avaient poussé dans les bras d'Adela.
Non, il ne devait pas se laisser attendrir par une jolie chevelure et un regard innocent ! Simone ne respectait pas les règles de Corona et il allait devoir les lui rappeler avec fermeté. Il s'avança alors vers elle en boitillant, vestige d'une ancienne blessure récoltée à l'armée qui continuait de l'embêter de temps en temps, et se planta à ses côtés sans chercher à masquer son agacement. Au diable les bonnes manières qu'il était censé avoir en présence des nobles, en tant que chef de la garde, il ne risquait pas grand chose de toute façon. « Au départ, j'ai cru que vous méprisiez nos règles parce que vous n'appréciez pas les lois en vigueur sur la magie à Corona. Mais maintenant, j'ai compris... Vous êtes réellement une inconsciente. » Il désigna la foule de passants qui envahissaient chaque jour les rues du royaume. « Vous n'avez rien à faire ici, et certainement pas seule. Et avant que vous ne disiez quelque chose, non, même votre garde du corps ne pourrait pas vous protéger si vous vous retrouviez cernée par des brigands. » Il savait déjà à l'avance qu'elle allait se défendre ou essayer de protester mais il ne put s'empêcher d'enfoncer le clou. Après tout, cela fait plusieurs jours qu'il se retenait de dire ce qu'il avait sur le cœur. « Les relations avec Arendelle ne sont pas tendues pour rien, beaucoup de gens ici méprisent les sorciers et cherchent à leur faire du mal. Or, vous êtes sous ma responsabilité et il est hors de question que l'on touche au moindre de vos cheveux pendant que vous serez à Corona. » Bien sûr, il se retint de préciser que lui-même ne portait pas les sorciers dans son coeur ; pas la peine d’envenimer une conversation déjà bien mal partie !

Bien sûr qu'elle allait lui tenir tête. Que croyait-il, qu'elle allait lui demander pardon et rentrer immédiatement au palais, la tête basse ? Non, c'était de Simone Virtanen qu'on parlait, et dont le caractère était aussi flamboyant que ses cheveux roux. Néanmoins, Daniel était fatigué de se battre contre quelqu'un qui n'en faisait qu'à sa tête. Il était même tenté de lui expliquer pourquoi il tenait autant à sa sécurité ou pourquoi il se montrait aussi méfiant à son égard mais il n'était pas vraiment d'humeur à s'épancher sur ses sentiments et encore moins auprès d'une femme qu'il connaissait à peine. « Ces règles, injustes, comme vous le dites, ne sont pas là par hasard. » Mais elle ne l'écoutait pas, déblatérant sur le fait qu'elle était capable de se défendre toute seule, qu'elle savait se battre et blablabla. Daniel se retint pour ne pas lever les yeux au ciel. Pour qui le prenait-elle, un macho de première catégorie ? Pour l'amour du ciel, il y avait, parmi la garde royale dont il était le capitaine, des femmes qui se battaient bien mieux que des hommes et elle osait lui faire cette remarque ? A croire qu'elle non plus ne le connaissait pas du tout. « Cela n'a absolument rien à voir avec le fait que vous soyez une femme. Si vous étiez un homme et que vous passiez votre temps en dehors du château en sachant pertinemment que vous n'y êtes pas en sécurité, je viendrais vous chercher exactement de la même manière. A l'exception faite que je me montrerais sans doute un peu moins courtois. »

Au fond, il savait que cela ne servait à rien de parlementer avec Simone. L'ambassadrice était encore plus bornée que lui et il était certain qu'elle refuserait de rentrer avec lui, juste pour avoir le plaisir de le contrarier. Il lui restait donc une dernière carte à abattre : la culpabilité. Il connaissait peu Simone mais se doutait qu'elle possédait un sens moral et refusait que quelqu'un qui soit puni par sa faute. « Peut-être que vous n'avez pas besoin de protection mais s'il vous arrive quelque chose, c'est moi qui aurais des problèmes. Et très franchement, je n'ai pas envie d'être destitué de mes fonctions simplement à cause d'une ambassadrice incapable d'être raisonnable ! » Ou alors, elle se moquait complètement de lui et de ce qui pouvait lui arriver par sa faute. Dans tous les cas, il avait usé de tous ses arguments et s'apprêtait désormais à employer la manière forte, c'est-à-dire attraper Simone par le bras et la ramener, qu'elle le veuille ou non, au palais.
Hélas, Daniel avait sous-estimé le pouvoir des rumeurs et bruits de couloir. Simone habitait au palais depuis plusieurs semaines déjà et il aurait dû se douter qu'elle connaissait déjà tout le concernant. Mais qu'elle ose lui jeter en pleine figure la mort de sa femme... C'était plus qu'il ne pouvait le supporter. Il sentit la colère monter en lui au moment où Simone termina sa phrase et fut incapable de l'évacuer : tout le monde au palais savait qu'il ne fallait jamais mentionner Adela en sa présence. Pour certains, il s'agissait de compassion et de pudeur ; pour d'autres, c'était du mépris et du dédain mais le résultat était le même. « Je vous demande pardon ? » Il fit quelques pas pour se rapprocher un peu plus de Simone, afin qu'elle seule entende ses paroles. « Vous ne savez rien de ce qui est arrivé à ma femme alors je vous prierais de ne plus jamais parler d'elle. » Sa voix était étrangement calme mais les traits de son visage étaient déformés par la colère et le chagrin. Il perdait rarement son sang-froid en présence des autres mais Simone avait réussi à le faire sortir de ses gongs en l'espace de quelques minutes. Mon dieu qu'il la haïssait ! Il voulait lui montrer que ses mots ne l'atteignaient pas mais au lieu de cela, il avait dévoilé sa faiblesse à Simone en laissant échapper sa colère.

Daniel commençait à perdre patience. Il n'était pas venu jusqu'ici pour parlementer des heures avec la femme la plus bornée au monde. Sa journée était loin d'être finie et il devait rentrer au plus vite pour s'occuper d'affaires urgentes ; aussi était-il pressé d'en finir avec Simine et de la ramener de gré ou de force au château. Hélas, Simone, qui était particulièrement têtue, s'entêtait à lui répondre insolemment, forçant ainsi Daniel à être sur la défensive. Lui aussi voulait avoir le dernier mot, il ne lui laisserait pas ce plaisir ! « Je sais très bien que vous n'avez rien demandé mais il s'agit de mon devoir, vous n'y pouvez rien et moi non plus. Croyez-moi, je préfèrerais être ailleurs en ce moment mais vous m'avez forcé à venir vous débusquer en ville. »
Même s'il ressentait une certaine fierté à tenir tête à l'ambassadrice d'Arendelle en personne, une partie de lui se sentait complètement idiot. Auparavant, avant la mort d'Adela, jamais il ne se serait montré aussi méfiant envers une étrangère. Le deuil de son épouse l'avait rendu amer et aigri et lorsqu'il s'en rendait compte, il ne se supportait pas. Face à Simone, il prétendait qu'il souhaitait uniquement faire son devoir et la protéger, mais en vérité, elle avait raison. Il se méfiait d'elle parce qu'elle était une sorcière, alors il refusait de la quitter des yeux comme s'il craignait qu'elle ne déclenche une catastrophe. Et pour ne rien arranger, elle était originaire d'Arendelle, royaume où habitait sa fille qu'il n'avait pas vue depuis des années... Tous les éléments étaient réunis pour qu'il n'apprécie pas Simone et cela devait sans doute transparaître sur son visage. « Je ne vous déteste pas. » répondit-il le plus calmement possible tandis que Simone, elle, perdait patience. « Je vous l'ai dit, je fais simplement mon devoir... » Mais même lui n'y croyait plus. Il était à court de mots et à deux doigts de faire demi-tour en laissant Simone se débrouiller seule dans les ruelles mal fréquentées de Corona. Si elle se faisait un peu malmener par quelques brigands, cela lui remettrait peut-être les idées en place ! Il regretta immédiatement d'avoir pensé cela car lorsqu'il releva les yeux, la jeune femme avait les yeux brillants de larmes. Génial. Il pouvait maintenant ajouter "est capable de faire pleurer les femmes" à sa liste de compétences. Les bras ballants, il resta de longues secondes sans rien, incapable de trouver les mots pour rattraper ses maladresses.

C'était paradoxal ; il avait envie de se mettre en colère pour avoir sous-entendu qu'il considérait son épouse comme un monstre et en même temps... il était obligé d'admettre qu'elle avait raison. Pourtant, lorsqu'il se rappelait des années de bonheur passées avec sa femme, il se souvenait d'elle comme quelqu'un de doux, aimant et attentionné. Ses mauvaises fréquentations l'avaient transformée mais il restait persuadé, au plus profond de lui, qu'Adela avait un jour été quelqu'un de bien. Et c'était ce qui rendait la douleur insupportable : savoir qu'il l'avait abandonnée à son sort, qu'elle était morte sous ses yeux sans qu'il ne lève le moindre petit doigt... « Je... Je suis désolé si je vous ai blessée. Je n'ai jamais pensé que vous étiez un monstre... Mais j'ai vu ce que la magie était capable de faire, je sais à quel point elle peut être violente et utilisée pour faire du mal aux hommes. Et même si vous ne me semblez pas représenter une menace pour Corona, je ne peux pas vous croire sur de simples paroles. Comme vous le savez déjà, je n'accorde plus ma confiance facilement et je n'y peux rien. » Sa bouche s'étira en un demi-sourire. « Je crains que nous ne puissions jamais tomber d'accord au sujet de la magie mais nous pouvons nous comporter comme deux êtres civilisés et arrêter de nous chamailler. » Il n'était pas encore prêt à enterrer la hache de guerre avec Simone mais il était forcé de constater que la méthode forte ne marchait pas avec la jolie ambassadrice. S'il se montrait plus aimable avec elle, s'il apprenait à la connaître, il parviendrait peut-être à la raisonner plus facilement. « Pour vous prouver ma bonne foi, permettez-moi de vous offrir un tasse de chocolat chaud dans le meilleur salon de thé du royaume. »