★ ... j'ai besoin de changer d'air... ★
Sourire et courber le dos devant les nobles.
Défendre le palais envers et contre tout.
Donner des ordres à ses hommes.
Obéir à ceux du roi.
Respirer.
Surtout, ne pas oublier de respirer.
C’est ce qu’il se répète chaque matin en se levant comme si c’était la seule chose que le maintenant encore en vie. Douze ans. Il ne pensait pas tenir aussi longtemps mais cela n’est pas vraiment un soulagement. Oh, il a déjà essayé d’en finir mais quelque chose l’en empêche, ou plutôt quelqu’un. Au-delà des mers, à des lieues d’ici, un enfant se réveille aussi, un enfant qui serait seul au monde s’il venait à disparaître.
Alors, comme chaque matin, il enfile son uniforme, ajuste son épée et se prépare à jouer la comédie. Il est devenu plutôt bon à ce jeu-là, après tout.(...)VINGT AUPARAVANT...«
Pourquoi est-ce que tu ne me parles jamais de ton enfance ? » La voix d’Adela était douce, pleine de tendresse et d’empathie. C’était pour cela que Daniel était tombé amoureux d’elle, parce qu’elle était capable d’apaiser la moindre de ses blessures avec des mots. «
Il n’y a pas grand-chose à dire, en fait. Mes parents n’avaient pas de quoi nous nourrir, mes frères, mes sœurs et moi. Alors je suis entré dans l’armée à seize ans à peine. » Posant sa tête contre le torse de Daniel, Adela resta silencieuse quelques minutes avant de poursuivre. «
Mais ça, je le sais déjà. Je veux que tu me dises quelque chose que tu n’as jamais dit à personne. Comme un secret qui n’existerait qu’entre toi et moi. » Comme son époux restait silencieuse, la jeune femme se redressa, laissant flotter sa longue chevelure blonde autour d’elle comme un halo. D’une beauté saisissante, elle avait tous les hommes de Corona à ses pieds mais c’était lui, Daniel, jeune soldat, qu’elle avait choisi. «
Un mari ne devrait pas avoir de secret pour sa femme... »
(...)DOUZE ANS AUPARAVANT...«
Tu n’as jamais eu confiance en moi, n’est-ce pas ? Je l’ai toujours su au fond de moi. » La femme qui se tenait devant lui n’avait plus rien à voir avec celle qu’il avait épousée et pourtant, Daniel continuait de l’aimer de tout son être. Il se haïssait pour ne pas être capable de la détester malgré ce qu’elle avait fait, malgré ce qu’elle l’avait poussé à faire. Il ne parvenait pas à croire qu’Adela avait toujours été ainsi et qu’il ne s’en était jamais aperçu. L’avait-il aimée au point d’en devenir aveugle ? Il préférait croire que l’esprit de sa femme avait été corrompu par la magie plutôt qu’imaginer qu’il avait épousé une meurtrière. «
Tu n’es pas obligée de faire ça... Addie... Il est encore temps de tout arrêter... » La lame passa à quelques centimètres de son visage et Daniel sentit tous les muscles de son corps se raidir. «
Tu aurais dû m’arrêter quand tu en avais l’occasion. Mais les humains sont si faibles... »
(...)DIX ANS AUPARAVANT...Lentement, très lentement, Daniel essuya sa lame imprégnée de sang contre son uniforme souillé. Après ce qui venait de se passer, il aurait dû se trouver dans un état second ou bien devenir complètement hystérique mais pourtant, il se sentait parfaitement calme.
La pièce dans laquelle il se trouvait était jonchée des cadavres encore fumants des sorciers qu’il venait de tuer et ils portaient tous le visage d’Adela.
(...)Il pense à elle tous les jours.
A ses longs cheveux, à son sourire éclatant de vie, à son rire cristallin.
Il a beau savoir que sa femme était une meurtrière, il ne parvient pas à se rappeler d’elle autrement que comme une innocente. (...)SEIZE ANS AUPARAVANT...«
Je t’en prie Dan, tu ne dois pas m’en vouloir ! » Les yeux d’Adela étaient comme fous, écarquillés et remplis de larmes. D’un geste brusque, elle attrapa les poignets de son époux et le força à la regarder. Lui avait le souffle heurté, comme s’il n’arrivait plus à respirer. «
Tu es... » «
Ne prononce pas ce mot. » répondit-elle froidement. «
Je suis bien plus que ça. Ce mot a été inventé par des humains faibles et fragiles, qui ont peur de ce qu’ils ne connaissent pas. Daniel... Regarde-moi, je t’en supplie... » «
Mais pourquoi ? Pourquoi tu ne m’as jamais rien dit ? Tu pensais pouvoir me le cacher éternellement ? » Daniel se sentait trahi. Il avait placé sa vie entre les mains d’Adela et elle ne lui avait pas confié son plus grand secret. «
Est-ce que tu te rends compte que tu mets aussi notre fille en danger ? Si elle hérite de tes pouvoirs... Tu n’es pas seule dans cette histoire Addie, bon sang ! » «
Parce que si tu l’avais su, tu aurais refusé d’avoir un enfant avec moi ? C’est ça que tu es en train de me dire ? Que tu regrettes la naissance de notre fille ? »
Les mots de sa femme frappèrent Daniel en plein fouet, qui recula comme un boxeur groggy. Non, ce n’était pas ce qu’il avait voulu dire mais il comprenait pourquoi Adela était blessée. Toujours abasourdi par ce qu’il venait de découvrir, il alla s’asseoir sur une chaise et passa une main sur son visage, incapable de regarder Adela dans les yeux. Il lui en voulait, il la haïssait même pour lui avoir caché qu’elle était une sorcière et à cet instant, tout son être lui cria qu’il était sur le point de commettre une erreur. «
Je ne regrette rien. Rien du tout Addie, tu m’entends ? » Il poussa un profond soupir. «
Mais les hommes avec lesquels tu discutais... Ce ne sont pas de bons sorciers, ils sont dangereux. Si tu veux que je te fasse à nouveau confiance, il va falloir que tu me promettes de ne plus jamais les contacter. »
En quelques secondes à peine, Adela franchit les mètres qui les séparaient et se blottit dans ses bras, posant sa tête au creux de son cou. «
Évidemment. Je te le promets. »
(...)Mais surtout, il pense à sa fille, qui doit avec presque dix-huit ans maintenant.
Se souvient-elle encore de lui ?
Elle lui manque terriblement mais il sait qu’il a fait le bon choix à l’envoyant à Arendelle.
Là-bas, la jeune sorcière sera pour toujours en sécurité.(...)DOUZE ANS AUPARAVANT...A la seconde où il avait appris qu’il y avait eu un massacre dans une taverne et qu’il avait été provoqué par une bande de sorciers renégats, il avait su qu’Adela en faisait partie. Il fermait les yeux depuis des mois sur les activités illégales de sa femme... pour quoi exactement ? Pour la protéger d’une exécution ? Pour se protéger lui, second du capitaine de la garde royale ? Il avait choisi la solution la plus simple et des dizaines d’innocents étaient morts à cause de lui. «
Mais les humains sont si faibles... » lui susurra à l’oreille Adela tandis qu’elle continuait à jouer avec sa lame. «
Tu as toujours cru que j’étais une petite chose fragile, hein ? Pauvre petite Adela... Si jolie, si douce... Si tu savais le nombre d’hommes que j’ai tué, tu n’en reviendrais pas. » «
Tu mens. » La lame s’interrompit juste à côté de son œil droit. «
Je sais que ce n’est pas toi. Je suis même prêt à parier que l’un d’eux utilise la magie sur ton esprit pour te contrôler. Addie... Je t’en supplie, laisse-moi partir et je te promets que je peux tout arranger. Tu vas être recherchée mais si on s’enfuit loin de Corona, on a une chance de s’en sortir. C’est pour ça que je suis venu seul mais dans moins d’une heure, tous les soldats de la milice seront à votre recherche. » Tout son corps tremblait mais son sourire ne faiblissait pas. Il était certain que la Adela dont il était tombé amoureux existait encore. Et s’il parvenait à se montrer convaincant... Il ne la perdrait peut-être pas aujourd’hui.
(...)DEUX ANS AUPARAVANT...«
Capitaine ? J’peux vous poser une question ? » La voix du jeune Carl tira Daniel de sa profonde rêverie. Assis à son bureau, il n’avait pas entendu la jeune recrue entrer dans pièce. «
Quoi ? » répondit-il d’un ton sec, espérant faire fuir le garde par sa mauvaise humeur habituelle. Malheureusement, Carl semblait déterminer à la lui poser sa question. «
Je sais que je ne devrais pas dire ça mais... Comment peut-on être sûr que les sorciers qu'on arrête sont tous mauvais ? Enfin, j’veux dire, certains ont commis des crimes, c’est sûr mais... Est-ce qu’être sorcier veut forcément dire qu’on n’est pas quelqu’un de bien ? » «
Effectivement, tu ne devrais pas dire ça. » rétorqua Daniel d’une voix glaciale. Il se leva et fit quelques pas en direction de Carl qui semblait soudain vouloir rapetisser puis disparaître. «
Je... je... j’voulais pas vous offenser mon capitaine, j’ai entendu parler de ce qu’il vous était arrivé à cause des sorciers mais je... » «
Alors tu ne sais rien. » Il ne parlait jamais de ce qui était arrivé à sa famille dix ans auparavant mais il savait que tout le monde était au courant et en parlait dans son dos. Il ne pouvait pas empêcher Carl de s’interroger sur le bien-fondé de leurs actions mais il avait le devoir de le mettre en garde. «
Les sorciers ne sont pas tous mauvais. C’est leur magie qui est dangereuse car elle les corrompt. Et parfois, il faut prendre des décisions difficiles pour que le royaume reste en sécurité. »
(...)DOUZE ANS AUPARAVANT...Plus tard, il essayerait de se persuader qu’il n’aurait rien pu faire. Que sa femme avait choisi son camp et qu’en refusant de s’enfuir avec lui, il ne pouvait plus la sauver. Qu’au moment où la garde royale avait pénétré dans le repaire des alliés d’Adela, l’un d’eux était en train de s’introduire dans son esprit et que la douleur ressentie l’avait empêché de voir clairement ce qui se passait autour de lui.
Mais c’était faux. Il avait vu le garde s’approcher d’Addie et sortir l’épée de son fourreau. Sans un mot, il l’avait regardé enfoncer sa lame dans le corps de sa femme. Sur le moment, il n’avait ressenti aucune tristesse.
Juste... du soulagement.
Enfin, c’était terminé.
Il était loin de se douter que ce n’était que le début. ★ ... et mettre fin au mystère ! ★