× fear not this night.

enfant chérie, petite fille aimée, tu étais très attendue par des parents auréolée de bonheur lors de ta naissance. petite créature fragile qui avait besoin de protection, tu étais le symbole d'un amour jeune et encore frais. première née d'un mariage récent, tu ne savais pas encore quel étais ton rôle en ce monde et pourtant, tu étais déjà quelqu'un... fille d'un guerrier mage et de la sœur cadette du roi, tu étais une nouvelle perle venue embellir la famille royale. ton paternel était un symbole pour la garde royale, un fidèle protecteur de son souverain, un sorcier de la terre qui hérita du surnom de Cœur d'Épines un jour où il usa de son don pour défendre et sauver le roi lors d'une bataille; choix risqué mais qui paya, au nom de sa loyauté infaillible.
de tes premières années, tu te souviens surtout de la joie immense qui émanait de la famille dont tu faisais partie; des moments d’allégresse, des rire cristallins et des ciels bleus céruléens dansant au dessus de ta tête espiègle. petite fille crédule et joyeuse, tu fit extrêmement ravie d'apprendre la naissance d'une cousine, princesse, héritière du royaume de Corona; tu aimais déjà cette nouvelle membre de ta famille mais étrangement, tu ne l'enviais guère... peut-être sentais tu qu'un jour, elle porterait beaucoup de choses sur ses frêles épaules et, peut-être encore, avais-tu déjà conscience de ta place auprès d'elle, celle d'une cousine, d'une future amie et confidente mais rien de plus...
durant de longues années tu demandas à tes parents de te donner un petit frère, après tout, tu avais déjà Eleonora pour petite sœur de cœur, tu savais déjà brosser les cheveux et faire les tresses; tu voulais maintenant un compagnon de jeu qui serait fidèle et qui aurait toujours put rester à tes côtés, un petit bonhomme dont les bras tremblants porteraient finalement, après plusieurs longues années d'entrainement, une fière et éblouissante épée ornée du blason de ta famille, fierté mal dissimulée. mais jamais il n'arriva... jamais ta mère n'enfanta après toi... à quelques reprises pourtant, son ventre semblait d'être légèrement arrondi... et à de nombreuses reprises tu surpris son sourire terne te répondre lorsque tu lui réitérais ta demande de fratrie... tu espérais, encore et toujours, jusqu'au jour où, une fois de plus, les servantes sortirent de la chambre parentale, les bras chargés de draps souillés, les sanglots étouffés d'une femme effondrée accompagnant le grincement morbide de la lourde porte de bois se refermant derrière elles... et cette voix grave, celle du médecin, prononçant les paroles fatidiques... “plus jamais vous ne pourrez donner la vie, vous étiez trop jeune lors de la naissance d'Ymir...” tu étais là, prostrée... tu avais cassé ta mère, tu l'avais fendu, détruite... dès lors et pour toujours, tu compris que tu serais la seule et unique fille pour tes parents, et, à la fois coupable et responsable, jamais plus tu ne parlas de ton désir de fraternité.
tu te souviens encore du jour où tu découvris ton don de magie et, surtout, du regard émerveillé que ton père porta sur toi lorsque tu réussis à soulever cette feuille morte devant lui. tu n'étais plus un bébé, tu n'étais plus une humaine; tu avais maintenant une nouvelle famille: celle des sorciers. fille de l'air, tu héritais d'un pouvoir changeant et inconstant qui te terrifiait autant qu'il te fascinait, qui t’inquiétait autant qu'il te semblait familier... bien différent de celui de ton paternel, tu n'en étais pas moins fière de pouvoir lui montrer ce que tu savais faire. ingénieuse et habile, tu usais de ce cadeau afin d'en faire profiter les autres; soulevant le vent afin de faire tournoyer les cerfs-volants des enfants, abusant de quelques soufflettes afin de faire de petites farces aux gens de ton entourage; jamais rien de méchant, et juste assez de quoi laisser ton pouvoir s'écouler.
lorsque ta cousine eut atteint l'âge de treize ans, il fut décidé que tu entrerais à son service en tant que demoiselle de compagnie et première lectrice; car après tout, n'étais tu pas la noble la plus haute placée de toutes celles qui gravitaient autour de sa personne? si ce fut un véritable honneur pour ton père, et une grande preuve d'amour pour ta mère; il s'agissait pour toi d'une occasion de retrouver cette petite sœur d’antan que tu avais perdu de vue avec les mois écoulés. tu retrouvais avec plaisir cette jeune fille aux cheveux couleur des blés d'été et au sourire doux, cette gracile silhouette qui devenait lentement mais surement celle d'une femme, celle d'une future reine de Corona. vous aviez toutes deux énormément changé mais rien n'avait entaché l'affection mutuelle que vous vous portiez, même pas l'annonce de ta nature magique. tu devins rapidement sa meilleure amie, plus proches que vous ne l'aviez jamais été auparavant.
tu avais dix-huit lors de cette nuit, cette horrible nuit. la Purge. tu te souviens encore avec effroi de tous ces cris, ces pleurs, ces plaintes qui faisaient gémir le château d'une douleur sans pareil... tu te trouvais au bal seulement quelques minutes auparavant, au moment où tout commençait; les premiers hurlement, les premières gerbes de sang... le temps de latence et le silence pesant... le mouvement de panique lorsque tous comprirent... tu ne sais plus exactement comment tu t'es retrouvée dans tes appartements auprès de tes parents, toi qui aurais dut rester auprès de ta princesse, tu ne sais plus... tu te rappelles surtout du souffle court, douloureux, filant qui s'échappait de tes lèvres blêmes, de la confusion qui régnait au delà du couloir, à peine séparés par un simple battant de bois et de fer forgé... tu revois les gardes enfonçant l'ouverture, accusant ton père de sorcellerie et lui sommant de se rendre immédiatement; du corps de ta mère faisant front entre eux et son époux, leur adressant d'une voix qui affichait toute sa superbe royale son rang et celui de son mari... puis du geste las et dégoûté de ton modèle, faisant reculer par l'épaule ta génitrice, du baiser sur ton front hâtivement déposé... et l'odeur de l'anis étoilée qui te prit à la gorge lorsque se refermèrent les menottes sur ses poings...
c'est en hiver de l'an de grâce 504 que ton destin fut scellé à celui de celui qui devenait par la présente ton époux, ton mari, le nouvel homme qui prendrait soin de toi. c'est après de longs mois de discussions acharnées, de missives envoyés et de corbeaux éreintés qu'il fut décidé de tes fiançailles et de tes épousailles prochaines ! tu n'étais ni triste, ni ravie d'apprendre une telle nouvelle, juste résignée à ton sort. tu avais déjà entraperçu celui qui allait bientôt joindre sa vie à la tienne, et bien que plutôt bel homme, tu n'avais pas d'affinités particulière avec lui, où du moins, n'avais-tu jamais cherché à le rencontrer et à faire plus ample connaissance avec lui. avec sa chevelure de feu et son accent prononcé, tu avais deviné sans peine son pays d'origine, voisin de celui de Corona; DunBroch. descendant direct d'Amish DunBroch, l'un des frères cadets triplés de Merida la Rebelle; il possédait assez de sang bleu pour se lier à toi, sans pour autant mettre à mal les retombées politiques engagées auprès des autres royaumes contigus. la robe dont tu étais parée ce jour là en ébloui plus d'une et beaucoup de noble célibataire lancèrent des regards courroucés à celui qui glissait présentement l'anneau à ton doigt. ainsi, devenais-tu la femme de, et non plus la fille de... bien que tu préférais conserver ton nom de jeune fille à la cour.
depuis maintenant six ans, ton époux et toi tentaient de perpétuer votre lignée, sans succès. les allers et retours incessants et perpétuels de l'émissaire, ainsi que vos rangs respectifs, ne permettant que de très rares moments d'intimités pour votre couple. si au tout départ, il n'était pas évident pour vous de vous entendre, au fil des années, de véritables sentiments d'attachements profonds sont nés; et si pour l'instant, vous ne pouvez vraiment parler d'amour, vous savez qu'il est de plus en plus difficile de rester séparé l'un de l'autre trop longtemps; comme si l'entente cordiale, puis l'amitié, poursuivi de la tendresse, laissait penser à croire que peut-être plus aller apparaître... ta mère auprès de toi, modèle de bienveillance et de bonté, se sentant vieillir malgré tout, souhaiterait pouvoir à nouveau choyer un, ou énormément, de bambins; et si toutefois elle ne te mets nullement la pression, tu sens son regard empreint de nostalgie et d'envie... ce qui t'inquiète au plus haut point...
depuis une quinzaine de jours, tu sens à nouveau les regards noirs, les murmures s'éteindre lorsque tu passes près des gens, les sourires forcés quand tu salues les nobles de la cour... si depuis la Purge, le monde du château s'était fait à l'idée que tu étais une sorcière de bonne volonté; la disparition soudaine et inexplicable de ta cousine Eleonora, le jour même de son couronnement, ranimes les inquiétudes et craintes que nourrissent les humains envers les sorciers... et tu es, de par ta position, une cible de choix pour les ragots et les rumeurs les plus folles... malheureusement, si pour certains tu ferais partie de la machination qui aurait permit la disparition de la princesse à des fins encore sombres, pour d'autres tu es une déchirure profonde, une tristesse infinie de savoir qu'une princesse de sang royal se trouve encore au palais mais que jamais tu ne pourras monter sur le trône... et si tu te moques éperdument de ce que l'on peut raconter sur toi, tu crains bien d'avantage les racontars qui circulent sur ta princesse, craignant que son image ne perde de sa splendeur et de sa superbe à cause de cet incident encore entouré d'une épaisse couche de mystère.  
tu te retournes, tu plisses les yeux et, enfin, tu les vois. elles sont pourtant si loin... comment as-tu put entendre leur voix ? “penses-tu qu'elle prenne amant lorsque son époux est en déplacement? et n'est-elle toujours pas enceinte, après toutes ces années?” si les médisances glissent sur toi, comme une rivière dans son lit de pierre; tu t'interroges cependant sur l'intensité de leurs paroles. l'avait-elle crié? hurlé? parlé plus fort pour qu'elle l'entende pleinement? pourtant, à les voir pencher l'une contre l'autre, leurs bouches pestilentielles cachées derrière des éventails, il est de toute évidence impossible que ces mots soient destinés à être connus de tous... alors pourquoi? tu les observes encore quelques secondes, puis détournes promptement le regard avant de reprendre ton chemin. tu refermes la porte derrière toi, et te plaques contre le portant, le visage blême et tes doigts agrippant plus encore la poignée, jusqu'à en faire pâlir tes jointures... qu'est-ce que c'était? devrais-tu en parler à ton père? est-ce normal? tu ne sais pas, tu ne sais plus... tu n'as pas encore vingt-neuf ans, tu ne penses pas du tout à l'origine naturel de ce phénomène. alors tu enfuis cet épisode au fond de ton esprit, comme s'il n'avait jamais existé, sans sentir la magie bouillir doucement en toi...